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Calcutta, 1948. Teresa s’apprête à quitter le couvent pour fonder l’ordre des Missionnaires de la Charité. En sept jours décisifs, entre foi, compassion et doute, elle forge la décision qui marquera à jamais son destin – et celui de milliers de vies.
Votre Teresa est très différente de l’image que nous avons de la sainte. Comment vous est venue cette vision du personnage si éloignée des clichés ?
Il y a quinze ans, j’ai réalisé un film documentaire intitulé Teresa et moi. À l’époque, nous avions obtenu l’autorisation d’interviewer les quatre dernières sœurs encore vivantes de l’ordre des Missionnaires de la Charité fondé par Mère Teresa. En filmant le récit de l’une des sœurs, je me souviens avoir été fascinée par le portrait de Mère Teresa que je découvrais : à la fois farouche et attachante. Je me suis pris de passion pour la complexité et l’audace du personnage.
J’ai alors fait mien ce projet : présenter une figure féminine historique sous un jour nouveau, loin des clichés. En tant qu’artistes, nous avons la responsabilité d’entrer en résonnance avec notre époque. Une adolescente suédoise m’a confié sa révolte devant l’absence de personnages féminins complexes en littérature. Notre film tente d’apporter cela. Il était essentiel de présenter une figure historique féminine qui ne soit pas idéalisée, mais complexe, multidimensionnelle.
Comment vous êtes-vous préparée pour tourner ce film ? Avez-vous mené des recherches ?
Les récits des quatre dernières sœurs fondatrices de l’ordre des Missionnaires de la Charité constituent une part essentielle de nos personnages. Beaucoup de dialogues du film sont des transcriptions directes de nos entretiens. Le recueil de ses écrits intimes, Viens Sois Ma Lumière, qui fait état de sa période de doute, a également nourri le film.
Et puis il y a Calcutta : une ville à la fois magique et terrifiante. Ce film a mis quinze ans à se faire. J’ai filmé, côtoyé et vécu auprès des marginaux, des exclus, des malades, y compris des lépreux. J’ai même pris un bain rituel dans le Gange, tout cela pour comprendre la nécessité qu’il y avait pour Teresa d’être là. Toute cette démarche a été une expérience de grande humilité.
Le film traite de la maternité. Teresa semble ambivalente à ce sujet…
Je sais que Mère Teresa est une figure controversée. Son héritage est fait d’accomplissements extraordinaires, mais aussi de contradictions troublantes. Je n’arrivais pas à me défaire de cette question : comment une femme si moderne sous certains aspects pouvait-elle avoir une position aussi dure sur l’avortement, sujet si intime pour nous, les femmes ? Mère Teresa a toujours été critiquée là-dessus. Je refuse de fuir la controverse. Nous avons donc choisi d’affronter cette complexité de front, et de chercher à comprendre.
En tant que femme intelligente et ambitieuse, Teresa a fait des choix. D’abord, trouver comment réaliser son ambition au sein de l’Église catholique. Puis, oser l’impossible : demander la permission de fonder sa propre congrégation et la diriger à sa manière, sans supervision masculine.
L’idée de liberté est revenue souvent dans mes entretiens avec les sœurs : ces femmes refusaient de vivre comme la société l’attendait. Dans leur quête d’indépendance, elles ont choisi la religion comme refuge. C’est une idée contradictoire, mais il faut considérer les contraintes sociales et culturelles de l’époque.
Comment avez-vous travaillé avec Noomi Rapace pour construire son personnage ?
Je voulais collaborer avec une actrice qui dégage naturellement cette énergie « punk rock » que, selon moi, Mère Teresa possédait, et qui porte en elle une certaine dureté. Noomi est un trésor : à la fois sensible, rock star et force de la nature. Nous avons passé un an et demi à bâtir le personnage. Nous avons discuté de l’héritage de Mère Teresa, exploré la portée de son action humanitaire, les motivations religieuses qui la guidaient, mais aussi les critiques dont elle a fait l’objet, de son vivant comme après sa mort. En tant que réalisatrice, j’ai été bouleversée de voir la transformation de Noomi. Elle a totalement incarné le personnage, jusqu’à ses peurs les plus intimes.
Pourquoi avoir choisi de raconter cette histoire ?
Mon père me disait : « Je ne sais pas si Dieu existe, mais l’idée de quelque chose de plus grand que moi m’inspire à viser plus haut. » C’est pour cela que je crée de l’art et des films. Ce film est le prolongement naturel de cette quête : explorer la forme cinématographique, repousser les limites et avoir le courage de m’exprimer librement en racontant des histoires que je juge essentielles. Enfin, Mère Teresa est albanaise, comme moi, et nous venons toutes deux de Macédoine. Je suis fière d’elle.