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Mariana, une quadragénaire issue de la haute bourgeoisie chilienne s’efforce d’échapper au rôle que son père, puis son mari, ont toujours défini pour elle. Elle éprouve une étrange attirance pour Juan, son professeur d’équitation de 60 ans, ex-colonel suspecté d’exactions pendant la dictature. Mais cette liaison ébranle les murs invisibles qui protègent sa famille du passé.
Jusqu’où Mariana, curieuse, insolente et imprévisible sera-t-elle capable d’aller ?
Ce n’est pas le premier de vos films qui évoque la dictature chilienne. Diriez-vous que c’est un sujet comme un autre ou une obsession ?
Ce n’est pas forcément une obsession mais comme j’ai grandi pendant la dictature de Pinochet, dans une ambiance très militarisée, cela fait partie de mon histoire. A 13 ans, quelqu’un m’a expliqué ce qu’était une démocratie, c’est à ce moment-là que j’ai compris que le Chili n’en était pas une… Même si je ne suis pas une victime directe de la dictature, cela ne peut pas être un sujet comme un autre pour moi.
Votre obsession – et cela se ressent dans la plupart de vos films – ce serait plutôt le mal, avec un grand M…
Oui, mais le mal au sens large. Ce ne sont pas forcément les “bourreaux” de la dictature qui m’intéressent, c’est le mal ordinaire. Le bourreau finalement, cela peut être moi, vous, vos proches… Un jour sous la contrainte, on peut nous obliger au pire. Il faut avoir conscience qu’un monstre vit en chacun de nous. Tant que nous n’aurons pas compris ça, nous serons en danger. C’est de cette façon que naît le fascisme.
Vous aviez découvert, à l’écriture de votre première fiction, qu’il fallait forcément mettre de soi dans un personnage pour le rendre plus humain. Mariana, c’est vous ?
Oui et non. Nous avons des points communs, bien sûr. Comme moi, Mariana est très curieuse. Curieuse de la nature humaine et de ses limites. Jusqu’où l’homme est-il capable d’aller ? C’est le genre de question que je me pose. Mais elle, en prime, elle est insolente, intrigante, imprévisible. On ne sait jamais ce qu’elle va faire. C’est ce que j’aime au cinéma : l’imprévisible.
On sent chez vous, comme chez Mariana, un mélange d’attirance et de répulsion pour ceux que l’on qualifie de bourreaux…
C’est vrai. Parce que rien n’est ni tout noir ni tout blanc. Mariana n’est pas juste une bourgeoise qui veut s’émanciper, cela ne m’aurait pas intéressée. C’est un personnage complexe. Et ce qui se passe autour d’elle l’est plus encore. Le colonel, considéré comme un bourreau, est capable du meilleur envers elle, alors que le propre père de Mariana est capable du pire.
Cette différence se ressent jusque dans les deux scènes d’amour du film. Là où le Colonel cherche à donner du plaisir à Mariana, le policier qui le condamne, lui, la brusque et ne pense qu’à sa propre jouissance…
Tout à fait. Le policier profite de la situation alors que le Colonel est dans la générosité. Celui qu’on considère comme un bourreau lui fait du bien. Celui qui représente la loi abuse d’elle. Ce qui m’intéressait aussi, avec ce film, c’est de mettre en lumière la responsabilité civile. Certains militaires ont fait le sale boulot, ils étaient des pions. Il faut qu’ils payent bien sûr, mais tous les autres aussi. Si la terreur a pu exister dans mon pays, c’était pour instaurer un système économique néo-libéral. Les Etats-Unis sont responsables, tout comme la bourgeoisie chilienne, qui s’est enrichie sous Pinochet, et qui est aujourd’hui dégagée de toutes fautes.
Comme dans votre précédente fiction, L’été des poissons volants, le rapport père-fille est très présent dans Los Perros. Une autre de vos obsessions ?
(Rires) Je ne m’en suis aperçue qu’après coup. Je ne le fais pas exprès. J’ai peut-être envie ou besoin, inconsciemment, de “tuer le père” ! Le mien a un caractère très fort, dominant, et il a soutenu la dictature… Dans le sens où il pensait que Pinochet était bon pour le pays, comme beaucoup de chiliens d’ailleurs… Plus jeune, cela m’a beaucoup choqué. Mais c’est une histoire complexe, et ce n’est pas notre sujet !
D’ailleurs, comme le père dans L’été des poissons volants, celui de Los Perros se croit au-dessus des lois…
C’est une partie de la classe politique chilienne. Le personnage du père de Mariana est inspiré de mon propre père, vous l’aurez compris, mais aussi de celui d’une amie et d’autres personnages existants. C’est un archétype. Il représente le pouvoir. Toute cette classe politique de droite qui se sent au-dessus des lois, ces bourgeois qui ont fait fortune sous Pinochet et restent impunis… Mais en même temps – et j’aime bien cette contradiction – il adore sa fille, qu’il a sans doute élevé seul après avoir été abandonné par sa femme. Il y a, encore une fois, le pire et le meilleur en chacun de nous. Pour la petite histoire, l’acteur formidable qui joue le père a 85 ans. Comme le mien.
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