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Nam et Viêt s’aiment. Tous les deux travaillent à la mine de charbon, à 1000 mètres dans les profondeurs de la terre. Alors que Nam rêve d’une vie meilleure, un mystérieux chaman lui promet de retrouver la dépouille de son père, soldat disparu lors de la guerre du Vietnam. Avec sa mère, et l’aide de Viêt, il se lance dans cette quête, pour retrouver les fantômes du passé.
Le 23 octobre 2019 à Essex, 39 migrants vietnamiens ont été retrouvés morts dans un camion réfrigéré. En dépit du développement économique du pays, la question de l’exil et de l’émigration reste toujours contemporaine en ce qui concerne le Vietnam. Dans quelle mesure cet événement a été à l’origine du film ?
Il y a plusieurs points de départ pour Viêt and Nam, et cet événement en fait partie. À cette période je vivais en Belgique, et c’est l’endroit où, précisément, ces personnes sont montées dans le camion qui allait arriver plus tard au Royaume-Uni. J’avais un sentiment très étrange, parce que tout ça se passait près de moi. C’était surréaliste et ça m’a questionné par rapport à ma condition de Vietnamien résident provisoirement en Europe. Loin du Vietnam et à la suite de cette tragédie, j’ai eu envie de préparer un film sur la question du foyer et de l’exil, que j’ai déjà pu explorer dans mes précédents travaux documentaires.
Comment considérez-vous Viêt and Nam par rapport à vos films précédents ? Quelle place occupe-t-il ?
Ce n’est pas évident. Quand on me demande de décrire mon film, je ne sais pas par où commencer, parce que le film rassemble énormément de choses de ce que l’on peut imaginer à propos du Vietnam. D’une certaine manière, quelqu’un qui chercherait à voir un film vietnamien ne serait pas surpris par ce qu’il aborde, par exemple la question du traumatisme de la guerre. Mais je voulais justement faire ce film afin de me « libérer » du Vietnam. En tant que cinéaste ayant grandi au Vietnam, je me considère privilégié et chanceux, et en même temps mes origines sont aussi une sorte de fardeau : on porte ces thématiques et ces attentes sur nos épaules, et on essaie de s’en détacher. Lorsque nous réalisons des films après avoir vécu en Occident, on se sent obligés de raconter l’histoire de notre pays, mais en tant qu’artistes, on veut être libres… Avec Viêt and Nam, je voulais gagner ma liberté de cinéaste.
Viêt and Nam est aussi un film sur la manière dont nous interagissons avec notre passé. Est-ce commun, au Vietnam ou dans le cinéma vietnamien, de mettre en scène la guerre ou d’y faire directement référence comme vous le faites ?
Non, pas du tout. Et c’est probablement un problème. Mais j’ai eu la chance de faire ce film librement. Je n’ai aucun compte à rendre, aucune obligation ni aucun engagement envers un camp. Je voulais m’intéresser à l’impact émotionnel de la guerre par les moyens du cinéma, ni plus ni moins. Viêt and Nam est un film post-guerre, qui interroge les traumatismes et ce qui suit la guerre, par exemple les cérémonies de voyance, très courantes et populaires dans le Nord Vietnam, où beaucoup de famille font appel à des voyants pour chercher ou rendre hommage aux disparus.
À propos de votre mise en scène, Viêt and Nam montre la relation conflictuelle entre dessous et dessus, souterrain et surface, intérieur et extérieur, comme une confrontation métaphorique entre ce qui est vivant et ce qui est mort. Les deux personnages travaillent dans une mine et on pourrait résumer leur geste à celui d’une exhumation du passé…
Oui, je crois que j’aime l’idée d’une dualité générale des choses, avec la perspective de la dépasser. Dans ce film comme dans mes précédents, il y a toujours cette concurrence entre deux choses : ici le foyer et la mine, la surface et les souterrains, mais aussi la montagne et la mer. Le processus d’exhumation implique de faire remonter ce qui est sous terre et Viêt and Nam montre deux personnages qui cherchent quelque chose au fond de la terre : du minerai ou un corps. En parallèle, c’est l’histoire d’un personnage qui veut quitter la terre pour aller en mer…
Viêt and Nam peut aussi être décrit très simplement comme une histoire d’amour entre deux hommes qui ont des aspirations différentes…
Je ne voulais pas réaliser un film spécifiquement sur les relations homosexuelles, comme le font beaucoup de récits stéréotypés. Dans le film, c’est quelque chose d’assez banal et normal. On ne questionne pas leur amour. Mais c’est indéniablement un point central de Viêt and Nam. En réalité, c’est toujours difficile d’être gay bien qu’au Vietnam, les relations homosexuelles sont relativement acceptées. Il est par exemple possible de montrer son affection en public sans être menacé ou agressé. Le problème vient plus de la manière dont, en tant qu’homme gay, on est intérieurement invité à se dissimuler. Dans le film, je voulais témoigner de ça tout en restant assez subtil. La plupart du temps, lorsque l’on voit Viêt et Nam montrer leur amour, ils ne le font que lorsqu’ils sont isolés.
Viêt and Nam cultive une forme d’expressionisme, avec un soin particulier accordé au cadrage et aux éléments de décors qui figurent dans l’espace l’intériorité des personnages. Comment expliquez-vous le fait que votre film a autant les atours d’un documentaire que d’une fable ou d’un conte ?
Je suis heureux que vous ayez reconnu tous ces éléments dans le film. Je voulais énormément de choses dans Viêt and Nam, et je suis assez gourmand ! La partie dans la mine avec les travailleurs ressemble à un documentaire, tandis que l’histoire d’amour produit des scènes visuellement plus élaborées voire fantasmatiques. Quand le film se déplace vers le Sud, il gagne en étrangeté. La coexistence du documentaire et du surréalisme apparaît en fait dès mes précédents travaux : même lorsque je réalise un documentaire, il y a toujours des éléments plus étranges, plus fictionnels. L’objectif ici était, pour moi, de ne pas distinguer ces deux pôles mais de les entremêler.
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