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Dans le légendaire Bois de Boulogne, Samantha, Isidro, Geneviève et les autres font le plus vieux métier du monde.
Entre confidences, humour et dignité, ils et elles nous emmènent au coeur du Bois…
Comment est né le projet Au Coeur du bois ?
Avec Au Bord du monde, j’avais fait beaucoup de projections avec des associations. L’une d’elles, Aux captifs, la libération, est une association humanitaire au service des personnes de la rue et des personnes en situation
de prostitution. Une personne de cette association m’a demandé après une projection si j’avais envie de faire un autre film, sur les personnes prostituées du bois de Boulogne. Au départ, je me suis demandé si j’avais les épaules pour porter, de nouveau, un sujet aussi lourd. Puis ça a germé en moi. Je me suis dit que le bois était une forêt, que la transsexualité induisait le thème de la métamorphose… Il y avait dans ce sujet beaucoup d’éléments de conte. C’est là que j’ai pensé qu’il y avait un film à faire, que ces personnes méritaient d’être vues autrement que ce que montrent certains reportages télé plus ou moins voyeuristes.
J’avais envie d’aller à l’opposé de ces reportages, non seulement au niveau éthique, mais aussi dans la forme. L’idée était de faire un vrai film de cinéma, avec des partis pris artistiques affirmés, d’apporter un grand soin à l’image, au son, à la musique et à la structure narrative. J’ai la chance d’avoir, avec Florent Lacaze et Céline Farmachi, des producteurs qui me permettent toujours d’aller au bout de mes choix artistiques. C’est très rare. Sans leur confiance et leur engagement, le film ne serait pas ce qu’il est.
Si Au Coeur du bois est un conte, quels personnages de conte sont les prostituées et prostitués ?
Un peu tout, cela dépend de chacun ou chacune : des petits chaperons rouges, des lutins, des farfadets, des ogres… Je suis fan de Werner Herzog qui travaille toujours sur la limite entre réalité et fiction, sur ce qui est vrai et ce qui est inventé. Pour un documentaire, ce qui doit être vrai, c’est la parole des protagonistes. Il était très important pour moi que les personnes aient envie de figurer dans le film, et qu’on ne les transforme pas. La matière première qu’est leur parole, on ne peut pas la manipuler, c’est une question d’éthique. En revanche, les filmer comme des elfes, des créatures de la forêt, ça me plaisait, d’autant que c’est déjà présent en eux et elles : ils et elles pratiquent dans leur métier un jeu de la séduction, de l’apparat… Nous n’avons grimé personne, tous les intervenants dans le film sont comme ça dans la réalité de leur métier.
Mon chef opérateur, Sylvain Leser, qui a fait tous mes documentaires, a une façon de regarder les gens que je trouve fantastique parce qu’on a toujours le sentiment d’être dans un monde flottant hors du temps. Il les magnifie sans jamais esthétiser la misère.
Au Coeur du bois est superbe plastiquement. « Esthétiser la misère », est-ce une question que vous vous êtes posée à vous-même, ou dont vous avez discuté avec Sylvain Leser ?
En fait, cette histoire d’esthétiser la misère me révolte. Elle a parfois affleuré dans les réactions à Au Bord du monde. Quand on fait un film sur des gens déclassés, il s’installe souvent une logique qui voudrait que l’esthétique du film soit crue, peu travaillée. Certains films adoptant une esthétique frugale peuvent être très beaux, je ne critique pas cela de façon générale, mais affirmer qu’il serait normal ou obligatoire de filmer les gens pauvres de façon « crade », je dirais que c’est ce point de vue qui n’est pas acceptable. Je préfère penser qu’il n’y a pas de règle, que tout doit être possible. J’aime les films différents des miens, ils m’apprennent des choses. Là, j’ai essayé de filmer des personnes, pas des déclassés. Ce sont avant tout des êtres humains qui sont aussi des parents, des enfants de quelqu’un, des cousins, des épouses ou époux, etc. Nous avons essayé de les filmer avec soin. Sylvain et moi adorons la peinture, ça nous influence forcément. Rembrandt, Murillo, Francis Bacon ont peint des tableaux lumineux de naufragés de la vie. Personne ne leur a demandé de faire des croûtes, sous prétexte que le sujet du tableau ne se prêtait pas au sublime. À l’instar de ces grands maîtres, nous ne voulions pas faire quelque chose de « joli », plutôt de tenter des images saisissantes.
En effet, on a rarement vu le bois de Boulogne filmé comme vous le faites, en scope, avec cette attention aux couleurs, aux lumières du jour et de la nuit, aux végétaux… Avez-vous filmé au naturel, selon certaines heures du jour ? Ou avez-vous beaucoup retravaillé à la post-production pour parvenir à ce très beau résultat ?
Ça se travaille aussi en post-production, mais ça se passe avant tout à la prise de vue. Je pense que le scope est important. Encore une fois, je voulais faire du cinéma, pas du reportage télé. Au départ, nous voulions choisir l’heure de tournage pour avoir la plus belle lumière possible, mais c’était trop contraignant, nous dépendions des disponibilités des intervenants.
Dans nos options, à côté du scope, il y a aussi le plan fixe, et le grand angle. Avec le grand angle, il faut placer la personne bien au centre du cadre parce que dès que c’est décadré, ça fait des lignes fuyantes incroyables. Disposer mes personnages au coeur du décor du bois est une partie du travail que j’ai beaucoup aimée.
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