Pourquoi avoir adapté l’histoire des soeurs Quispe ?
Ce fait-divers est une véritable légende au Chili, l’histoire de ces soeurs fait désormais partie de notre imaginaire. Pour ma part, j’ai été fasciné par la dignité de Justa, Lucia et Luciana Quispe, trois femmes de la communauté andine des Coyas terrorisées par un danger extérieur. Le contexte m’a aussi beaucoup intéressé : cette histoire se déroule dans un monde « primitif », coupé de tout si ce n’est de la nature et de la famille. Il y est question de fin : la fin du monde dans lequel les soeurs Quispe évoluent
mais plus généralement, la fin d’un mode de vie voué à disparaître. Au delà de l’histoire de ces soeurs, le film embrasse des thématiques universelles qui, je l’espère, créent un dialogue avec les spectateurs.
Cette histoire s’est passée dans les années 1970, vous étiez alors enfant ; quel souvenir avez-vous de la dictature ?
Que l’histoire se passe en 1974, sous Pinochet, compliquait un peu les choses pour moi. Mes parents étant des exilés politiques, on peut dire que la dictature a été LE sujet de discussion de mon enfance. Nous en parlions même au petit déjeuner ! Plus tard, j’ai eu quelques réticences à évoquer ce sujet : j’avais probablement fabriqué des anticorps… Me pencher sur ce fait-divers m’a permis d’aborder la dictature sous un angle différent. Pour les soeurs Quispe, la dictature n’a pas eu le même impact sur leur vie que sur celle de mes parents ou de millions de chiliens parce qu’elle ne vivaient pas dans le même temps culturel que les citadins. La dictature était une mauvaise nouvelle arrivant de la ville comme l’écho d’un monde étranger. Pour autant elles ont vécu un véritable cauchemar.
C’est cet aspect que je voulais aborder dans mon film.
Comment avez-vous fait pour vous imprégner de cette histoire ?
J’ai tout de suite eu l’intuition que pour appréhender au mieux l’histoire des soeurs Quispe, il fallait que j’expérimente leur mode de vie. J’ai donc décidé d’aller vivre avec l’une des dernières familles coyas de l’Altiplano andin, pour écouter leurs histoires et comprendre leur imaginaire. Je ne cherchais pas à tout prix la vérité sur cette histoire, j ‘ai toujours voulu faire une fiction, pas un documentaire. Je voulais surtout les comprendre et connaître les lieux dans lesquels les événements se sont déroulés. Ces grands espaces où nous avons tourné sont vraiment des lieux uniques ! Tous les abris que l’on voit dans le film, les « rucas », ces sortes de grottes que les bergers coyas ont construit dans la montagne pour y passer l’été, sont ceux où les soeurs Quispe avaient l’habitude de séjourner. Le rocher où elles organisent dans le film leur rituel final est également celui qu’elles ont réellement utilisé.
Nous avons cherché à respecter le mode de vie des soeurs Quispe : un monde ancestral et ascétique, à l’opposé de ce que vivaient d’autres chiliens au coeur d’un profond bouleversement politique.
